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ANNE-CHRISTINE GUY
Illustration : Virginie Larivière
j’ai quitté ma ville il y a un an
ma ville qui m’avait vue devenir adulte
et qui m’avait offert tant de maisons
et tant de rues
maisons à moi
et maisons d’accueil
mais depuis un an j’habite ailleurs
dans des lieux où je me creuse un nid
mais qui ne sont pas miens
–
maison #1
ma chambre est au deuxième étage
et les fenêtres sont grandes
et j’apprends que je suis une adulte
qui a encore peur du noir
nous vivons à deux
dans une proximité
étonnante
il y a des fleurs collées au mur
de ma chambre
mon palais, mon repère
les fleurs
vestiges des princesses
qui y dormaient avant moi
nous ne barrons jamais la porte
quand nous quittons la maison
nous admirons le fleuve
le matin au déjeuner
nous nous couchons de bonne heure
–
maison #2
je dors dans un petit lit dur
dans une salle de jeu
ma chambre de fortune
ni confortable ou belle
mais je suis là pour l’amour
et l’amour me le rend bien
–
maisons #3
la fenêtre surplombe la ville
ma ville
qui m’échappe
et se crée une vie sans moi
et sans peine
les nuits elle est belle
cette ancienne amante
qui brille de tous feux
je l’archive sur mon téléphone
comme une obsession
ma maison est une chambre
un port d’attache
où je me pose comme un marin
au gré de mes marées
et où on m’accueille
comme une reine
–
maison #4
j’habite chez ma mère
à nouveau
après autant d’années
à vivre ailleurs
que l’âge
que je portais
à mon départ
j’ai repris ma petite chambre
mon petit lit
j’ai actualisé la décoration
et dans la cour arrière
il n’y a plus de forêt noire
qui me fait peur dans mon sommeil
je garde les rideaux ouverts
ma mère dit que les voisins
vont me voir me changer
je m’en fous
je garde le chauffage bas
ma mère dit qu’il fait froid
j’aime ça
je fouille dans les souvenirs
dans les choses entreposées
je croise de vieilles connaissances
à l’épicerie
personne sur qui avoir un crush
à part le garagiste
–
maison #4
j’ai un bureau dans le sous-sol
je suis à deux pas
d’être un troll trentenaire
dans le sous-sol de sa mère
Maison #3
je rentre tard
on a laissé un veilleuse pour moi
je me souviens mes années de cégep
si j’avais pu j’aurai aimé ramener avec moi
le garçon que j’ai dû quitter pour prendre le taxi
mais je ne suis pas chez moi
chez moi à demi
on dit ma chambre
mais ça ne ressemble en rien
à une chambre qui serait mienne
le lit est deux pieds trop haut
je dors dans la peur de tomber
au moins ce serait devant un beau paysage nocturne
maison #1
je suis de retour
je me sens chez moi
c’est la maison
qui est mienne maintenant
même si toujours temporaire
désormais je nommerai le lieu
où tout mon linge entre dans le garde-robe
où je mange mon déjeuner
où je peux inviter des garçons à coucher
désormais je nommerai ce lieu maison
maison #1
J’habite une grande maison
et je me masturbe dans le salon
je me masturbe à la lumière du jour
Dans la maison les fenêtres immenses
les animaux peuvent me voir me donner plaisir
à 3 h de l’après-midi
quand le soleil est si beau
et que la solitude n’est pas dure à porter
même légère
et malgré tout d’autres mains
seraient bienvenues
sur mon corps chaud