13 de trop

ANNE-CHRISTINE

Photo: Catherine Lefrançois

J’ai ce souvenir marquant du primaire. Un jour, des gens étaient venus dans notre classe nous parler d’une petite fille qui s’était fait enlever par des étrangers. Elle avait été violée, puis tuée.  Je me souviens être rentrée chez moi avec un drôle de mal de ventre. Je venais de perdre le sentiment de sécurité. C’est ce jour-là qu’a pris racine cette peur toute féminine que l’on s’en prenne à mon corps. Même s’ils ont probablement été alarmés par cette histoire, je ne crois pas que les garçons de ma classe aient eu la même réaction face à cette nouvelle.

Dans ma vingtaine, j’avais un amoureux qui aimait répéter une horrible blague sur le viol que je ne répèterai pas ici. J’ai réalisé pour la première fois que cette peur avec laquelle je vivais depuis l’enfance, mes amis masculins ne la connaissaient pas. Ce n’est pas que je m’attendais à ce qu’ils aient peur eux-mêmes, mais je croyais qu’ils comprenaient la place que cette peur occupe dans la vie des femmes. Les retours à la maison le cœur battant parce qu’un étranger nous suit, le sentiment de ne parfois pas s’appartenir.

Au moment d’écrire ces lignes, 13 femmes ont perdu la vie aux mains d’un amoureux ou ancien amoureux au Québec. Je ne connais pas les chiffres des violences perpétrées contre les femmes dans notre société, mais je sais que c’est beaucoup trop depuis trop longtemps. Et cela dans un pays où l’on se prétend égalitaire.

Cette année, chaque nouvelle annonce de féminicide est dure à avaler, d’autant qu’elle est accompagnée d’un sentiment d’impuissance. Depuis toute petite, je comprends la douleur de cette violence que vivent les femmes, car depuis l’enfance, j’évolue dans une société qui est violente envers les personnes de mon genre. Et si nous ne vivons pas toutes des violences conjugales, nous les craignons toutes. Nous savons que notre propre sexe est une menace à notre sécurité. Et donc dans cette période hautement anxiogène, l’annonce de femmes qui tombent comme des mouches fait grandir ce sentiment d’impuissance. J’ai beau m’éduquer, développer mon discours, prendre la parole, je suis aujourd’hui convaincue que toute cette violence ne cessera pas tant que les hommes n’en feront pas leur problème.

Alors, honnêtement messieurs, c’est à vous que j’ai envie de parler. Votre nonchalance me décâlisse. Je n’en peux plus que cette discussion se passe presque exclusivement entre femmes, que l’on prêche aux convaincues, que l’on crie et gesticule dans notre chambre à écho. Ne voyez-vous pas qu’on meurt ici-bas ?

Si nous portons toutes le poids de la peur, vous ne pouvez pas oublier que vous portez tous le poids de la violence. Vous aurez beau être le plus doux du quartier, des centaines d’années de violence vous précèdent. Même si on sait de l’ours qu’il n’est pas vraiment méchant, qu’il a peur, nous nous méfions de vous et de votre peur. Cette peur qui vous rend violent face à notre peur qui nous fige. Ce que font vos pairs vous concerne aussi, même si vous avez toujours été irréprochable.

Aussi, ne vous attendez pas à ce que je sorte la bonne vieille rengaine : ça pourrait être votre fille… On n’en a rien à faire de cette hypothétique possibilité d’être votre mère, votre fille, votre sœur. On veut le respect parce qu’on est humaines tout comme vous, pas une espèce de seconde zone. De toute façon, on le sait trop bien qu’être votre intime ne nous sauve pas et que c’est même souvent plus dangereux. Est-ce parce qu’il pourrait être votre père ou votre fils que vous ne tuez pas les autres hommes ?

Et si vous avez envie de me répondre « not all men », je vous suggère d’utiliser cette énergie pour trouver une solution pour qu’on n’ait plus besoin de dénoncer les violences que too many men imposent encore aux femmes aujourd’hui. Je vous en prie, entrez dans le débat, faites-en votre affaire, ne restez pas silencieux devant les gestes douteux que vos amis posent, offusquez-vous avec nous, éduquez-vous, écoutez vos amies qui parlent de leur expérience. On est fortes, mais ça vous concerne aussi.